La nouvelle fusée de Woking n’est plus une super- mais bien une hypercar. Un «truc de ouf», hallucinant de puissance et… de facilité

Attends. Attends encore… Reste à l’intérieur de la courbe. Attends… Attends… Là, laisse-la gentiment dériver sur l’extérieur… Maintenant! Pleins gaz!»

Sanglé dans le baquet de la Senna, les yeux rivés sur le bout de la ligne droite du circuit d’Estoril, au Portugal, je «lâche les chevaux». Ils sont 800 à se ruer en avant, dans un feulement de folie. La vitesse de l’aiguille du compte-tours bondit vers le haut. À peu près aussi vite que mes pulsations cardiaques. Et que les rapports s’enchaînent: cinquième, 215. Sixième, 220, 250, 265. Septième, 270. 275. 280. 284!

À 200 mètres du virage, au moment de «taper» dans les freins comme en course, le compteur affiche 284 km/h! Jamais encore, même au volant de l’extraordinaire Honda NSX hybride, je n’étais arrivé aussi vite au bout de la ligne droite du circuit d’Estoril. Fou. Magique. Flash-back…

La veille, une poignée de journalistes avait débarqué dans un hôtel de la côte portugaise, pour une conférence de presse un peu spéciale. Sur la terrasse dudit hôtel… une McLaren Senna. Un peu comme si un vaisseau de «La guerre des étoiles» s’était posé en plein centre-ville. «Vous auriez vu la tête des gens quand ils l’ont vue arriver, pendue sous sa grue», glisse, goguenard, Wayne Bruce, le directeur de la communication de McLaren. De fait, la bête est imposante. Pas belle, non, imposante.

Ses imposants porte-à-faux, ses ailes arrières proéminentes et son énorme aileron arrière lui confèrent un côté «Lego» un peu étrange. Et la couleur orange, agressive, ne fait rien pour adoucir cette impression d’assemblage brut. Mais il faut lui reconnaître une chose: sa puissance brute, animale, gomme bien des imperfections. Et elle est infiniment plus sexy «en vrai» qu’en photo…

En même temps, on n’est pas là pour gloser sur l’aspect cosmétique, ce qui nous intéresse vraiment c’est de nous installer au volant et d’aller voir, sur la piste, ce que cette hypercar a «dans les tripes». Mais avant, petit passage obligé par le traditionnel briefing d’avant session. Un moment un peu surréaliste lors duquel concepteurs et ingénieurs vont nous balancer des chiffres qui donnent le tournis: 800 chevaux, on l’à déjà dit, mais aussi 800 Nm de couple et 800 kilos d’appui aérodynamique produit par ce formidable appendice arrière mobile sous lequel les échappement dirigent leur flux pour augmenter encore l’appui en augmentant la vitesse du flux d’air. D’autres chiffres? 3799 centimètres cube de cylindrée pour le V8 doté d’un double turbo, une boîte double embrayage à 7 rapports, pour faire passer la puissance sur le seul axe arrière, un poids de 1198 kilos, un 0 à 100 km/h expédié en 2’’8, un 0 à 200 km/h abattu en 6’’8 et 340 km/h annoncés comme vitesse de pointe!

Et l’aileron arrière mobile, qui vient aussi appuyer l’action des freins en carbone-céramique lors des freinages, n’est pas le seul à «coller» l’engin sur la route: à l’avant, des «moustaches mobiles» et une lame active parachèvent l’action, tandis que le fond plat et divers appendices aérodynamiques dans les flancs et l’arrière de la carrosserie canalisent les flux d’air, optimisant tant l’aérodynamique que le refroidissement des freins et du moteur. On oscille entre la comptétition automobile, l’aéronautique et… James Bond.

Du coup, quand arrive le moment de prendre le volant on est impressionnés. Forcément. Pourtant, une fois à bord, un étrange sentiment de confort nous envahit. Évidemment, on a un peu l’impression d’être «soudés au châssis». Dame! Le harnais 5 points est un peu plus contraignant qu’une banale ceinture de sécurité. Mais pour le reste, on se sent aussi chouchouté que dans une sportive de luxe. Cuir, Alcantara, métal brossé: les finitions sont superbes. Et en regardant rapidement, on aperçoit un autoradio, un GPS et la batterie classique des gadgets électroniques courants. Bref, tout le confort moderne. Nous aurait-on menti? Cette hypercar ne serait-elle qu’une banale sportive au design délirant? Les premiers mètres nous le feraient presque croire: embrayage doux, accélérateur progressif, freinage parfaitement dosable… Tout, pour l’instant, semble moins brutal que dans la… 720 S. Pourtant, si c’est cette dernière que les pilotes ont choisi pour nous faire faire les tours de reconnaissance, c’est qu’il y a bien une raison, non?

Après quelques virages et un petit tour de chauffe, pour mettre les gommes en température, on passe enfin aux choses sérieuses. Du coup, les indications d’Ollie Millroy, notre «coach» se font plus laconiques, les ordres plus précis, plus déterminés. On est passé dans une autre dimension… Aux accélérations plus franches répond une direction à la précision chirurgicale. On n’appuie plus sur la pédale de frein, on «tape dedans». On ne roule plus sur le circuit, on attaque les points de corde, on vise la trajectoire au loin et on attaque les courbes en reculant toujours plus le point de freinage. Fou! Délirant! Cette McLaren qui semblait si douce, si «facile», s’est transformée en bête de course, prête à chasser les millièmes, à exploser les chronos. Digne de la réputation du pilote de légende dont elle porte le nom, la Senna semble tout faire pour repousser les limites et tirer le meilleur de ce que son pilote est capable de faire.

Un tour de chauffe, quatre tours rapides, un tour de décélération pour permettre à la température des éléments mécaniques de redescendre: le premier run est terminé. C’est l’heure du debriefing. Globalement, Ollie est satisfait. Mais il y a une infinité de détails à peaufiner. Il analyse, décortique, commente. On essaie d’emmagasiner au maximum.

Un petit quart d’heure plus tard, second service! Ca repart. Et cette fois, à bloc, dès le départ. On fait encore plus, encore plus vite, encore plus fort, encore plus tard. Trop… Suivant les conseils du coach, on s’est pris à croire qu’on pourrait retarder le freinage jusqu’à l’endroit où il nous l’indiquait. Mais on ne s’improvise pas pilote… Du coup, on se rend très vite compte que, au vu de la vitesse de la voiture, de l’angle de la courbe et de l’âge du capitaine, ça ne passera jamais! Et même si l’adage veut que «des fois ça passe sans freiner, mais il faut fermer les yeux et prier très fort», on ne plaisante pas quand on a dans les mains une voiture à plus d’un million.

Un «tout droit» dans l’échappatoire et un freinage «poilu» plus tard, on reprend la piste sous le commentaire goguenard d’Ollie: «fallait appuyer plus fort sur les freins quand je te l’ai dit, ça passait!». Dont acte. Trois tours de plus, pour se faire pardonner, et déjà l’heure de laisser le suivant se satelliser est arrivée. Au moment d’enlever le casque, on doit tirer un peu plus fort: ce doit être le sourire XXXL qui coince.

 «La» Senna? Le croisement entre une sportive de luxe et un missile sol-sol! Une voiture d’exception conçue et réalisée au superlatif. Un rêve. Une folie. Inaccessible. D’autant plus inaccessible, d’ailleurs, que les 500 exemplaires prévus ont déjà trouvé preneur depuis longtemps. Ca tombe bien, on n’a pas gagné à l’Euromillions…