Le pilote Genevois Anthony Sinopoli, qui avait terminé au 3e rang du GP de Monaco Historique avec une Maserati de 1936 après une course épique, «remet ça» à Montreux

L’univers fait décidément bien les choses… Imaginez que vous soyez pilote de course, que vous ayez été sacré champion suisse de Formule 3 et que, pour mille et une bonnes raisons, vous ayez depuis mis un terme à votre carrière sportive. Imaginez, ensuite, qu’un ami pousse un jour votre porte et vous propose un volant, le 12 mai,  pour disputer une des courses les plus mythiques du monde: la Serie A du Grand Prix historique de Monaco 2018, catégorie «Voitures de Grand Prix d’avant-guerre». Elle n’est pas belle, la vie?. On connait tous le gag du type qui dit «Je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur!».

Anthony Sinopoli

Le moins que l’on puisse écrire c’est que le pilote genevois Anthony Sinopoli, lui, n’est pas superstitieux pour un sou. Puisque c’est très exactement 13 ans après sa dernière course officielle que Sébastien Bottinelli, un passioné qui possède plusieurs bijoux mécaniques anciens, vient le trouver avec une proposition impossible à refuser: piloter, dans le cadre du Grand Prix historique de Monaco, une Maserati 6 CM/4CM de… 1936. Pour Anthony, que le virus du pilotage n’a jamais quitté, c’est le début d’une extraordinaire aventure.

La Maserati 6 CM/4CM de 1936

Mais d’abord, il faut soigner la monture. Datant de 1936, donc, la voiture est unique: au lieu de son six cylindres d’origine, elle a été équipée d’un moteur quatre cylindres auquel on a adjoint un compresseur, pour augmenter sa puissance. Ainsi modifiée, elle développe 175 chevaux et peut atteindre les… 210 km/h! Pas mal, pour une vénérable grand-mère de la route. Seulement voilà, depuis le temps qu’elle est à la retraite, la vieille dame a besoin d’une sérieuse cure de jouvence si elle entend se remettre à jouer les allumeuses.
C’est là que Gianni, le père d’Anthony et patron du garage GSGS Racing Concept à Gingins, et Gaëtan, son mécanicien de choc, entrent en scène. On démonte, on révise, on répare, on accorde. Comme un Stradivarius mécanique. Petit à petit, cette reine de la route retrouve tout son éclat. Le 19 mars, c’est le premier galop d’essai: la voiture monte dans sa remorque, direction le circuit de Bourg-en-Bresse en France voisine. Histoire de lui dérouiller les cylindres. Et de permettre, accessoirement, au pilote de se familiariser avec la conduite d’un monstre de près de 4 mètres, qui pèse 700 kilos mais qui n’est freiné que par des freins… à tambour.

Pourtant à la pointe de la technologie de l’époque, la Maserati n’a que des freins à tambour.

Et puis la mécanique n’est pas une science exacte: alors que la diva démarrait au quart de tour, tant qu’elle était bien au chaud dans son garage, elle fait des caprices. La bise est mordante et le mercure ne dépasse pas trois degrés? Malgré le préchauffage de son impressionnant bloc au moyen d’eau chaude en circuit fermé, rien à faire! Madame la diva refuse de démarrer. Fin du match? Que nenni! Face à la pire des mauvaise volonté mécanique du monde, une corde de remorquage et… un gros pick-up font l’affaire.

Les tuyaux, à l’avant, servent à faire circuler de l’eau chaude, pour préchauffer le moteur.
Mais rien à faire, il va falloir la démarrer en la remorquant…

Après trois tours de parking tractée comme une vulgaire remorque, vexée, la star cesse de se faire prier. Et émet un rugissement propre à ravir tous les amoureux de mécanique présents. Après des années d’inactivité, cette ancienne reine des circuits daigne montrer les facettes de son talent. Et au bout de quelques dizaines de tours au volant, Anthony est lessivé. Mais ravi. La direction est ultradure et les freinages hautement aléatoires certes mais, de l’avis du pilote, les dérobades du train arrière sont d’une franchise proverbiale.

Sur la piste, Anthony n’a pas chômé: le pot de la Maserati est rouge!

On procède à quelques derniers réglages fins, remballe la merveille dans sa remorque et remet le cap sur Gingins. Prochaine étape: Monaco!

Quelques derniers réglages fins et hop…
… dans la remorque. Destination Monaco!

Mercredi matin 9 mai, donc, cap sur le Rocher. Confortablement installée dans sa remorque, la star est prête. Ne reste plus qu’un «léger détail»: le contrôle technique. Il prendra près de… cinq heures! À quelques minutes du départ de la première séance d’essais libres, l’autocollant «FIA agréé» est enfin collé sur les flancs de la belle. Départ!

Madâme crâne sur les quais…
… avec tous les autocollants nécessaires. Ouf!

Découvrir un circuit normal n’est jamais simple. Mais quand il s’agit de trouver ses repères dans les entrelacs serrés et néanmoins urbains du tracé monégasque, c’est encore plus dur. Les concurrents le répètent à l’envi: «C’est ta première fois ici? Tu vas voir, c’est très compliqué…» Compliqué? Sans aucun doute. Mais la voiture n’est pas la seule à avoir du potentiel. Au terme de ces premiers runs, Anthony pointe au 4e rang, à deux secondes et demi du premier en 2:10.616. Pas mal pour une première! Surtout quand on sait que les trois voitures de tête affichent… 100 chevaux de plus que la Maserati.

Joli plateau…

Les essais qualificatifs du samedi commencent par plomber un peu l’ambiance. Malgré ses efforts, Anthony tourne toujours en 2:09 – 2:10. Et les Era tournent toujours plus vite. Derrière le mur, au niveau du stand, Gianni commence à se dire que son fils ferait mieux de rentrer, pour préserver l’état mécanique de la Maserati en vue de la course de demain.

C’est le déclic… Gaëtan regarde une fois, puis deux l’affichage des chronos en temps réel. Incroyable: en un tour, Anthony vient de gagner près de… quatre secondes: passant de 2:10.616 à 2:06.931. Le troisième n’est plus qu’à une poignée de dixième devant. Dans son micro, le speaker officiel ne cesse de vanter les prodiges réalisés par ce Sinopoli et son incroyable voiture rouge numéro 32 que l’on voit en grand sur l’écran géant de la Piscine…

Oui, euh… un peu optimiste le panneautage, là. En fait, c’est 2’06»931…

Le lendemain, tout est possible. Même… l’impensable. à quelques centièmes de l’extinction des feux, le troisième anticipe son départ. À côté, Anthony, encore en train de se demander ce qu’il fait… rate l’extinction des feux et part avec un temps de retard: deux places de perdues! Pire: à la réaccélération sur la montée du Casino, au moment de remettre les gaz, miss Maserati… coupe! Puis repart! Chaud devant. Déchaîné, le Genevois attaque tant et plus. Remonte un, puis deux des concurrents qui avaient profité de son départ raté. Devant, Sinopoli est déjà parti à l’assaut de la ERA R4A qui pointe en troisième position. Et le speaker de s’extasier à nouveau devant le coup de volant du Romand. Sur la chaîne de «Goodwood Classics», le commentateur va même jusqu’à regretter que Lewis Hamilton ne soit pas présent pour assister au prodige que le Genevois réalise au volant. En pleine bagarre, alors qu’Anthony revient presque sur son adversaire, coup de théâtre: pour départ anticipé, la ERA numéro 24 hérite d’une pénalité de passage dans les stands. Cette fois c’est sûr, Anthony et sa Maserati sont troisièmes.

Après neuf tours de sprint, l’indication «dernier tour» est envoyée. Les freins commençant à donner des signes de faiblesse, le Genevois ralentit, se contentant de gérer. Mais au moment de passer la ligne, pas l’ombre d’un drapeau à damiers! On repart donc pour une boucle. Mais la Maserati ne freine quasiment plus… Après quelques virages, Anthony voit les commissaires lui agiter des drapeaux bleu. Derrière, l’ERA pénalisée revient en trombe et il lui demandent de laisser passer. Mais le podium est en jeu. Il se bat, attaque, retarde ses freinages. Trop. Une ultime manoeuvre déséquilibre la voiture qui part en tête-à-queue. D’un coup de volant magique il la reprend avant qu’elle n’aille taper le rail de sécurité… et repart de plus belle!

La glissade impressionnante du dernier tour de trop (à 6:33)!

La diva glisse, tressaute, dérape. La lutte dure jusqu’au bout. Et même un peu plus loin: trosième place en jeu, l’équipe saisit la direction de course qui, après examen, reconnaît son erreur: la course a duré un tour de trop. Anthony et la Maserati sont bien sur le podium!


Une consécration qui a plongé la petite équipe dans une joie sans bornes. Dont est sortie une nouvelle idée. Pourquoi pas remettre ça, dans un autre trophée historique, au volant d’une ancienne F1… un peu plus récente que Miss Maserati. Affaire à suivre.

L’attente ne sera pas trop longue puisque, ce dimanche 16 septembre, Anthony devient «pilote officiel» Alfa: ayant entendu parler de ses exploits monégasques, le Musée Alfa Romeo à Arese (I) lui mettra à disposition une sublime Alfa Romeo P3 Tipo B pour les deux montées du GP historique de Montreux. Le début d’une nouvelle carrière? Toujours est-il qu’en ce qui concerne la «modernité» du bolide, en revanche, c’est râpé: la P3 date de… 1931!

L’Alfa Romeo P3 Tipo B 1931

Mais bon, tout ça s’annonce bien: lors de sa première participation à ce qui était alors une vraie course, la P3 avait remporté Montreux. Et cette année, pour les runs de démonstration, Anthony Sinopoli s’est préparé à fond: sa principale mascotte a, comme à Monaco, trouvé naturellement sa place sur la roue, le nom du pilote orne les flancs du bolide et l’autre mascotte prend déjà ses aises à bord: tout roule!

Après quelques mondanités le samedi au terme desquelles la voiture fut amenée dans un palace montreusien (pour se préparer aux courses du lendemain?) Rendez-vous était pris, sur le coup de 8:00 dimanche pour se lancer à l’assaut des virages menant de Glion à Caux.

En vrai diva, l’Alfa se fit désirer jusque vers 9:30. A une demi-heure du départ officiel, elle fit une entrée aussi tonitruante que remarquée sous le magnifique couvert de la place du marché. L’occasion pour nous de l’admirer dans tous les détails…

Supposée partir première, avec son numéro 1, la belle se voit finalement réserver un traitement digne de son statut de «star du jour»: elle aura le privilège de partir en dernier, histoire d’être bien certain que tous les spectateurs auront eu le temps d’arriver pour la voir passer…

La journée? Fantastique! Sous un soleil radieux et malgré un petit souci (le pommeau du levier de vitesse a joué les filles de l’air dans les premiers virages…) la belle Alfa s’est montrée digne de son héritage: c’est elle qui avait remporté le seul vrai «Grand Prix de Montreux», disputé le 3 juin 1934!

84 ans plus tard, moins de stress pour Anthony que pour Carlo Felice Trossi à l’époque: pas de chrono et des consignes de sécurité incitant plus à l’écoconduite qu’au sprint effréné. Mais on ne se refait pas. Même à 85 ans, quand on a la course dans le sang, on n’est pas là pour s’économiser les pistons! C’est donc avec un bonne volonté clairement exprimée que la belle s’est élancé à l’assaut de Caux. Avec un fort joli passage de la chicane de la Swiss Hotel Management School…

Au terme de ses deux montées, le pilote genevois semble en tout cas ravi de sa monture, à laquelle il trouve pas mal de similitude avec la
Maserati 6 CM/4CM avec laquelle il s’était classé troisième au Grand Prix de Monaco Historique…

Après l’effort de la montée, ne reste plus qu’à goûter au joies de la redescente sur les quais de Montreux, pour une parade en forme de bain de foule et une dernière montée. Sur le podium d’honneur, cette fois. Enfin, avant ça, il a fallu se livrer à quelques petites manoeuvres sur les haut de Caux. Et sans marche arrière, tout n’est pas toujours simple…

Rendez-vous pour de prochaines aventures, au volant d’un nouveau bolide de légende? C’est loin d’être exclu…