Rupert Stadler 

L’histoire pourrait s’appeler «La chute de la maison Arrogance». Elle se passe à Wolfsburg et à Ingolstadt, fiefs respectifs de VW et d’Audi. Le pitch est digne des meilleurs suspenses d’Alfred Hitchcock, mâtinés d’un zeste de fables de LaFontaine…

Au début, donc, étaient une bande de grenouilles qui, à force de se croire plus fortes que le boeuf, se pavanaient à tout va. Faisant étalage de morgue, rivalisant d’arrogance. Le conseil supérieur du totipotent Volkswagen Group était, c’est certain, au-dessus du commun des mortels, au-dessus de la concurrence voire au-dessus des lois. Ou zu gross zu fallen, si vous préférez, la version Niebelungen du too big to fail.

Début 2006, pourtant, sous l’apparent vernis inoxydable, la machine s’était déjà enrayée… À cette époque, obnubilés par l’envie de détrôner Toyota et de s’arroger le titre de plus grand constructeur mondial, les rois de Wolfsburg se lancent à la conquête de l’Ouest: à eux l’Amérique et son marché crucial pour décrocher le pompon. Mais aux USA, VW est synonyme de «voiture de jeune», pour ne pas dire «tas de ferraille». Les cow-boys font, visiblement, peu de cas de la «Deutsche Qualität». Il faut un plan? On imagine l’opération «Clean Diesel». Ils ne veulent pas acheter nos voitures à essence? On va leur vendre le gasole le plus propre du monde. Winterkorn, alors patron de la marque VW, ne doute de rien…

C’est le début de la fin. Mis au défi de réaliser l’impossible, les ingénieurs n’osent pas dire au mandarin que les valeurs de NOx américaines ne sont pas atteignables avec le cahier des charges qui est le leur: faire du moteur EA189 un bloc fiable, super propre et à coût raisonnable. On est en mai 2006. C’est là qu’apparaît, pour la première fois, Audi. Un ingénieur des Anneaux explique dans un mail qu’il existe un logiciel truqueur, capable de détecter si la voiture est en conditions de test. Si c’est le cas, il s’active et le moteur tourne «plus blanc que blanc». Sinon, il pollue gaiement. Jusqu’à 35 fois plus que les normes! C’est inacceptable. Mais c’est aussi la solution pour atteindre le but fixé. Les dirigeants foncent tête baissée.

À leur tête, mandarin de tous les mandarins, trône désormais Martin Winterkorn. Vainqueur de son grand rival Wendelin Wideking, l’ex boss de Porsche qui avait cru pouvoir renverser l’histoire et devenir chef suprême en rachetant VW, Herr Professor Doktor Winterkorn savoure sa couronne toute neuve. Le soutien inconditionnel de Ferdinand Piech, figure historique du consortium, lui a permis d’accéder au pouvoir suprême. La cour, alors, compte pas mal de barons. Parmi lesquels Rupert Stadler, le patron d’Audi. Nous y reviendrons…

Durant toute l’année 2007, avec la bénédiction du «patron des moteur», on s’active. En octobre 2007, la dernière glissière de sécurité tombe: les ventes de moteurs truqués sont programmées. Comble de l’arrogance, ledit «patron des moteurs» envoie à ses collègues un mails contenant trois photos de lui aux côtés… d’Arnold Schwarzenegger, alors gouverneur de la Californie, L’état le plus exigeant en matière de NOx! Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Winterkorn se gargarise des succès obtenus et règne, sans partage, sur le petit monde de l’automobile, façon chef de tous les chefs. De colloques en Salons, de conférences en symposiums, il est le boss. Et il aime que ça se sache.

Il est à deux doigts de réussir. Dès 2011, les ingénieurs travaillent sur un nouveau moteur pour les USA. À leur façon, ils «corrigent» le bug en… l’inversant: au démarrage, le logiciel truqué est bridé. Et ne s’active que si la voiture passe un test. Et ils ajoutent une nouvelle fonction de «sécurité»: si le volant bouge, le logiciel se désactive. Il n’y a qu’en conditions de test que le moteur prend des tours sans que le volant ne bouge. L’astuce est bien trouvée, le nouveau «patron des moteurs» l’approuve. En voiture Simone…

Mais en 2014 patatras! Curieusement, une obscure petite université de Virgine occidentale entreprend, pour le compte d’un organisme de surveillance étrangement interpellé par un ingénieur… japonais, une bizarre étude sur les écarts déconcertants existant entre valeurs annoncées et valeurs mesurées sur les blocs diesel estampillés VW. C’est le début de la fin.

Flairant la catastrophe, Volkswagen US monte une task force pour répondre aux autorités yankees qui se montrent de plus en plus pressantes. Puis alerte la maison-mère. Au lieu d’avouer, d’être à moitié pardonnés et de corriger en retirant le logiciel, le mandarin et sa cour s’enferrent dans la stratégie du «nier, toujours nier». Allant jusqu’à nier… l’évidence. Après tout, ils sont Volkswagen, «Das Auto», personne n’osera. Funeste erreur.

Sous pression, un employé craque. Le 19 août 2015, il avoue. Un responsable juridique de Wolfsburg demande alors aux ingénieurs américains de «vérifier leur documentation sur le logiciel moteur». Façon «burn after reading«. On efface les disques durs, on détruit le documents, mais c’est trop tard. Les experts informatiques américains connaissent leur job.

Le 18 septembre 2015, en plein Salon de Francfort, c’est le Tsunami! Le dieselgate cloue Martin Witerkorn au pilori. Devant le monde entier, le mandarin déchu, livide, prend acte. La tricherie des moteurs diesel 2.0 litres éclate suivie, le 2 novembre, par celle des moteurs 3,0 litres. VW qui n’a toujours rien compris, nie une seconde fois. Puis se rétracte. C’est fini! 11 millions de voitures “illegales”: sacrée tache sur un col. Surtout quand il est blanc… Fin septembre 2015, même Piech le poignarde dans le dos. Winterkorn est destitué.

Pourquoi vous rappeler tout ça, direz-vous? Parce que nous sommes trois ans plus tard et que, pourtant, Rupert Stadler, le baron d’Audi est toujours là, lui. Enfin, plus vraiment… Depuis le 18 juin dernier, il a troqué les lambris de son bureau d’Ingolstadt pour les barreaux d’une cellule. Accusé de risque de subornation de témoin et de destruction de preuves, suite à une perquisition menée au siège d’Audi.

Mais contre toute attente, ce n’est que le 2 octobre que le dernier des mandarins a officiellement été démis de ses fonctions. Bon, ne pleurez pas: il lui reste un petit espoir. Pas de redevenir potentat au sein du VW Group, non, la nouvelle génération semble avoir appris des erreurs du passé. Mais bien de toucher… près de 8 millions de francs à titre de dommages pour «rupture prématurée de contrat». À condition qu’il ne soit reconnu coupable d’aucune charge dans l’enquête à son encontre pour participation au dieselgate.

Et même, au pire, il lui restera un petit «sucre»: VW lui a promis 1,5 million d’euros s’il ne s’engageait pas dans une firme concurrente d’ici à décembre 2019. Et un petit million de salaire et primes datant d’avant 2015. Quand le dieselgate n’était encore qu’un vilain secret bien gardé. Elle est pas belle, la vie de mandarin?