Pousser les portes de Palexpo, cette année, c’est vivre une expérience étonnante. Bien sûr, il y a les voitures, les tapis rouges, les projecteurs. Bien sûr, il y a les concepts cars un peu fous, les bolides de rêve et les hypercars qui ressemblent plus à des vaisseaux interstellaires qu’à des automobiles. Mais il y a quelque chose de changé. Dans un premier temps, l’impression est un peu diffuse. Un sentiment de «flottement» que la simple absence de titans comme Ford, Volvo, Hyundai, Opel ou Jaguar Land Rover ne suffit pas à expliquer. Ni celle des hôtesses court vêtues qui, comme les stands luxueux à deux étages, sont des clichés qui appartiennent définitivement au passé.

En y regardant de plus près, on remarque évidemment cette profusion d’exposants insolites et grandioses qui sont venus prendre la place des absents et qui, à quelque part, apportent un vent de nouveauté et de fraîcheur bienvenues. On remarque, surtout, cette débauche de bornes de recharge qui, stand après stand, nous font nous demander si on est bien au salon de l’auto, ou à celui des monteurs électriciens. Car si le GIMS 2019 prouve une chose, c’est bien que le monde de l’automobile a, définitivement, troqué le cheval-vapeur contre le kilowattheure.

Ce qui n’était jusque-là qu’une tendance s’avère désormais être la nouvelle norme: les constructeurs ont, dans leur grande majorité, franchi le point de non-retour. Et on ne parle pas ici de Tesla, ni même de Jaguar dont la i-Pace a été nommée voiture de l’année, qui brillent par leur absence. On parle ici de Porsche, de Audi, de Skoda, de Volkswagen, de Seat, de Mercedes, de BMW, de Honda, de Toyota, de Subaru, de Peugeot, de Renault, de Citroën, de… De presque tout le monde, en fait. De tous ces poids lourds de la branche qui, à Palexpo, présentent au moins un modèle ne fonctionnant qu’avec des électrons. Et multiplient les exemples d’électrifications avec des hybrides ou des hybrides plug-in. Sans compter les «nouvelles stars» qui ont pour nom Piëch, Rimac ou Aiways et qui, eux, ne présentent que des voitures 100% électriques.

Partout la même rengaine. L’électron est le nouveau Graal, le messie qui doit venir sauver le monde de l’automobile. C’est le nouveau paradigme, le nouveau mantra. Vous interrogez un dirigeant de Citroën, de Toyota ou même de Porsche? Le discours ne varie pas d’un iota. Il va de «évolution logique» à «responsabilité climatique», en passant par «nouvelle donne de la mobilité», «conscience écologique» ou «révolution technologique majeure». Joli laïus. Auquel les chiffres semblent donner raison: il ne s’est jamais vendu autant de voitures électriques en Suisse qu’au mois de février dernier. 727 nouvelles immatriculations ont été enregistrées, soit une augmentation de 83,1% par rapport à la même période de l’an dernier. S’y ajoutent 862 hybrides essence (+24%) et même 10 hybrides diesel (+920%). 

Les constructeurs auraient-ils tous été touché, en même temps, par un éclair de génie? La réalité est tout autre. S’ils investissent des milliards dans l’aventure, ce n’est pas tant par conscience écologique qu’à cause de la limite de 95 de CO2 par km fixée par Bruxelles qui entrera en vigueur l’an prochain. Parce que sans véhicule «zéro gramme» dans leur gamme, il leur sera tout simplement impossible d’atteindre cette moyenne. Donc, pour éviter des millions de francs d’«amende», ils n’ont d’autre choix que de foncer, tête baissée. Mais aucun ne sait réellement où il va. Parce que, malgré les beaux discours, pas un seul d’entre eux n’est certain que ses nouveaux bijoux trouveront leur client cible.

Car si les ventes sont en augmentation, l’ensemble des véhicules électrique ne représente jamais que 3,3% du parc suisse actuel. 8,6% si on rajoute tous les hybrides. C’est peu, très peu, même, si l’on considère que la Nissan Leaf avait élue voiture de l’année en… 2011 déjà.

Mais cette fois, c’est parti. Et plus rien, désormais, ne peut arrêter cette folle ruée vers les volts. Les sommes colossales qui ont été investies ne laissent plus aucune alternative. Il faut foncer, ou mourir. Cette gigantesque partie de Monopoly était-elle inéluctable? Rien n’est moins sûr. Malgré tous les avantages qu’elle semble présenter, la solution électrique n’est pas dénuée de risques. Si l’on considère l’énergie nécessaire à la fabrication des batteries, les éléments rares – et disponibles en quantité limitées – qui entrent dans leur composition et les problèmes liés à leur recyclage on n’a, en fait, aucune idée précise de la réelle valeur écologique de la démarche. De plus, agir ainsi revient, littéralement, à «donner les clés» de l’industrie automobile à la Chine qui possède une avance considérable dans la technologie et s’est accaparé la plupart des sources de matières premières indispensables à la fabrication des batteries.

Mais, poussée par les impératifs économique et les pressions politiques, l’industrie n’a plus d’autre option: elle est condamnée, comme les salons de l’auto, à se réinventer pour ne pas disparaître. Et tant pis si elle n’a plus le temps de réfléchir. Au fait qu’il aurait peut-être fallu penser au gaz, à son faible coût et à son excellent bilan CO2, par exemple. Ou aux progrès réalisés par quelques constructeurs qui croient encore à l’amélioration du moteur thermique. Ou aux avantages de l’hydrogène. Pour ne citer que ces pistes-là.