Jusqu’où peut-on aller trop loin? C’est la question que l’on est en droit de se poser suite aux nouvelles décisions de Bruxelles en matière de normes antipollution

Selon Bruxelles, les véhicules légers neufs devaient émettre 40% de CO2 en moins d’ici 2030

D’un côté, il y a l’industrie automobile. Qui fait ce qu’elle peut pour proposer des moteurs toujours plus efficaces tout en étant moins gourmands et moins polluants. De l’autre côté, il y a les instances politiques. Qui, pour se conformer aux engagements pris et soigner leur popularité, édictent des normes toujours plus sévères en matière d’émissions de CO2. Entre les deux, on procède ensuite à un savant numéro d’équilibristes, pour tenter de ménager les intérêts économiques, surtout dans les pays producteurs d’automobiles, tout en faisant preuve de fermeté, pour «coller» au plan de marche de la lutte anti-réchauffement.

Mais s’il faut admettre que, durant des années, l’intérêt économique a eu tendance à trop primer sur l’écologie, force est de se demander si, aujourd’hui, le balancier ne part pas à l’excès dans le mauvais sens. Car trop de normes risque bien de tuer non pas les normes, mais bien… l’industrie automobile.

Les «anciennes» exigences de l’UE, déjà «dures»

Mercredi 3 octobre, le Parlement européen a estimé que tous les nouveaux véhicules légers mis sur le marché devraient, d’ici 2030, réduire leurs émissions de CO2 de 40%, soit 10% supplémentaires par rapport au but de -30% fixé en novembre 2017. Une mesure qui touche toutes les automobiles et tous les utilitaires légers comme les camionnettes, les pick-ups et les minibus. d’ici 2030. Le nouveau taux de référence de 100% du calcul est fixé à 2021, les émissions devant atteindre 60% de ce taux en 2030, avec une étape intermédiaire à 80% d’ici 2025. 

Diminuer de 20% les émissions en 4 ans, puis encore de 20% supplémentaires lors des 5 années suivantes? N’est-ce pas totalement irréaliste? «Le transport est le seul grand secteur de l’UE où les émissions de gaz à effet de serre sont toujours en augmentation» affirme l’Union Européenne pour justifier sa résolution. Même si le vote a été relativement serré (389 voix pour, 239 voix contre), cette décision de principe va constituer la position du Parlement européen dans les négociations sur le sujet avec le Conseil de l’UE (Etats membres), qui débuteront le 10 octobre. Le texte de loi issu de ces négociations devra ensuite être voté à nouveau au Parlement et au Conseil avant de pouvoir entrer en vigueur.

Les constructeurs dont les véhicules excéderaient les valeurs limites se verraient infliger des amendes, que l’UE utiliserait pour «faire monter en compétence les travailleurs affectés par les évolutions du secteur automobile», argumente le Parlement européen.

Les constructeurs, évidemment, font entendre un autre son de cloche. Selon eux, ces réductions très ambitieuses des émissions vont avoir un impact violent sur le secteur automobile et vont faire grimper de façon significative le prix des véhicules. «Ce vote va avoir un impact très négatif sur tous les emplois impliqués dans la chaîne de fabrication des voitures et elle va forcer toute l’industrie à procéder à des transformations drastiques en un temps record.», estime Erik Jonnaert, le secrétaire général de l’association des constructeurs européens ACEA. «L’Union Européenne veut diminuer de 40% les émissions de CO2? Fort bien. Mais les voitures électriques sont comme la nourriture bio: elles coûtent beaucoup plus cher. Et l’Asie a le monopole sur la technologie (lire https://www.autofocus.news/2018/10/les-batteries-nouvel-eldorado/), alors soyons honnêtes…» a renchéri Carlos Tavares, patron du groupe PSA et président de ladite ACEA.

Car le projet législatif adopté par l’UE comprend un autre objectif: une part de marché des véhicules électriques et à faibles émissions à 35% du marché des voitures et camionnettes nouvelles d’ici 2030 et à 20% d’ici 2025. Ce qui explique en grande partie la cadence accrue à laquelle tous les fabricants investissent dans la production de nouveaux modèles électriques. Mais qui ne résout en rien le «noeud» du problème: quelle sera la source d’approvisionnement de ces véhicules électriques?

Tant qu’on parle d’électricité produite par des barrages, des éoliennes ou des panneaux solaires, passe encore. Mais une voiture électrique roulant avec une énergie produite par nucléaire (comme en France), par charbon (comme en Allemagne) ou par génératrices alimentées au… diesel est-elle encore vraiment «verte»? On est en droit de poser la question, surtout si elle fâche… D’autant que si l’électrification se poursuit à un tel rythme, les besoins en électricité vont croître à un point tel que les problèmes de distribution deviendront très rapidement un souci majeur. Transformant la «solution» électrique en vulgaire écran de fumée.

Reste un point délicat: les parlementaires ont demandé que soient mis en place d’ici 2023 des tests «en conditions réelles de conduite», et non plus en laboratoire, pour mesurer les émissions de CO2. Ce qui soulève deux autres problèmes.

Premièrement, est-il toujours judicieux, en 2018, de mesure la «pollutivité» d’un véhicule à son seul dégagement de CO2, «choisi» comme ennemi public numéro un en rapport à l'»effet de serre». Or le CO2 n’est pas un poison. C’est même tout le contraire: c’est le «carburant» des plantes, qui s’en servent pour fabriquer de l’oxygène! Evidemment, en cas de fortes concentrations, il peut avoir un effet toxique (au-dessus de 5%, il entraîne une gêne respiratoire, à 10% une perte de conscience, entre 25 et 30% la mort). Mais, à l’heure actuelle, l’air ambiant en contient normalement entre… 0,04% et 0,15% et ses concentrations n’apparaissent même pas sur la plupart des relevés de qualité de l’air! (contrôlez vous-même avec l’application airCHeck ou sur http://www.oasi.ti.ch/aircheck/). 

L’ennui, c’est que ce haro sur le CO2 permet de générer pas mal… de revenus. Les mesures prises? Essentiellement des taxes! Sur les bâtiments, sur les voitures de tourisme et, pour l’industrie, la mise sur pied de quotas, payants, permettant d'»échanger des émissions» et de compenser ainsi son bilan énergétique. Un «impôt vert» qui ne dérange personne. Et surtout pas l’UE…  

Étonnamment, les oxydes d’azote et autres particules fines dégagées par les moteurs diesel ou les moteurs essence à injection directe, pourtant bien plus dangereux pour notre système respiratoire, surtout chez les jeunes enfants et les personnes âgées, n’entrent pas dans le calcul des politiques. Vrai que, pour ces problèmes, l’industrie a déjà développé les filtres à particules, pièges à urée et autres dispositifs décontaminants. Autant de solutions qui ont un coût qui, forcément, fait grimper celui du véhicule et se voit donc réservé, en priorité, aux voitures «chères». Une sorte d'»écologie à deux vitesses».

«Dire» c’est bien, «faire» c’est mieux…

Et puis il y a le problème des limites «techniques». Jusqu’où est-il réaliste de demander aux ingénieurs de diminuer les taux d’émissions? Décider dans un bureau à Bruxelles, c’est bien. Mais parvenir à réaliser un moteur qui pollue 40% de moins, c’est une autre paire de manches une fois derrière un banc d’essai. La dernière fois que l’on a acculé les motoristes, la seule «solution» qu’ils ont trouvé au pied du mur a été… un logiciel fraudeur, inventés par les informaticiens de chez Bosch.

Un réel partenariat, intelligent et censé, entre constructeurs et pouvoirs politiques, avec des objectifs exigeants mais réalistes, ne constituerait-il pas une solution plus convaincante? Cela permettrait au moins au grand public qui, au final, règle toujours l’addition, de retrouver un minimum de confiance en ne se sentant pas coincé entre un appareil politique qui ne vise que de nouvelles taxes et des constructeurs qui «embellissent» leurs taux de consommation/émissions…